Qui ne s’est, enfant, prêté au jeu d’un.e démiurge solitaire, agençant figurines et personnages dans un théâtre de fortune ? Qui est cette personne qui manipule les ombres dans une usine désaffectée où perce à peine la lumière du jour ? Faire monde et faire un film trouve avec El espíritu de la araña une identité de nature dans une aventure plastique qui joue d’une circulation organique entre valeurs de plans, trouble et netteté, ombres et reflets, techniques de fabrication de l’image et corpus iconographiques. Le tout dans un mutisme radical qui rapproche l’être vivant à l’œuvre du monde animal. La caméra d’Antonia Rossi accompagne plus qu’elle n’observe des gestes de création, véritables rituels du quotidien dans l’atmosphère feutrée de cet espace abandonné et a priori hostile. Son habitante provoque la pousse d’une sorte de lichen dont elle se revêt. Une façon littérale de prendre racine. Des graines germées deviennent un paysage au sein duquel une main filmée en gros plan glisse comme une limace futuriste. El espíritu de la araña opère le déploiement d’une mutation par la fabrique expérimentale d’une autre façon d’habiter. Habiter en araignée. L’extérieur est épié et tenu à distance. Cette dichotomie construite avec un intérieur relève moins de la séparation d’espaces que de temps. Les visions urbaines pourraient être la ruine d’un avant, et cet intérieur, autre forme de ruine ici industrielle, un futur comme l’occasion de reconfigurer des images, des symboles et produire de nouveaux récits. Et donc de nouveaux mondes. L’espace filmique est alors le lieu propice à ce qu’advienne le Chthulucène (nom dont la première des sources est une petite araignée californienne), espace-temps parallèle inventé par Donna Haraway où se créent fragilement « les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme », possibilités précieuses et secrètes toujours menacées par l’appétit destructeur des grues.
Claire Lasolle