Le centre de gérontologie de Maniquerville, dans le Pays de Caux, accueille des personnes âgées atteintes de maladies neuro-génératives. La comédienne Françoise Lebrun vient régulièrement de Paris faire des lectures de Proust aux résidents du Centre. Un lien fort s’instaure entre la comédienne et Clara Lepicard, animatrice du Centre.
Voilà posés le cadre, le protocole ou la trame narrative, comme on voudra. Mais on ne sera pas surpris que Pierre Creton vienne l’élargir à une dimension autre que celle que la sociologie retient d’ordinaire. Car son projet n’est autre qu’une adaptation très libre, mais scrupuleusement fidèle aussi (le texte y est lu, patiemment, abondamment, intensément), de La Recherche du Temps Perdu, comme si les personnages du livre se levaient des pages pour devenir devant nos yeux les auditeurs du récit de leur propre vie et les spectateurs de leur propre décrépitude. Mieux qu’un triste état des lieux donc, ce que Maniquerville complote, ce sont des métamorphoses. Transformer, par exemple, par la grâce d’un champ contrechamp, un visage de vieille dame âgée en une fine fleur blanche. Renvoyer l’outrage du temps qui passe des résidents à la grande bâtisse qu’ils ont occupée autrefois, demeure proustienne désormais vide et promise à la destruction. Évoquer, depuis l’immobilité d’un fauteuil roulant, les souvenirs de départ en mer. Etc. Rien ici n’est stable, et Françoise Lebrun et sa complice Clara Lepicard le soulignent au final, riant d’une lecture à deux voix d’un extrait de Blanchot, aux accents comiques, sur l’immense générosité de la fatigue.
Jean-Pierre Rehm