Ouverture. Après deux photos noir-et-blanc de couples s’aimant dans un parc, la nuit, s’imprime une phrase en blanc sur noir : « Ce qui reste de nous se reconstitue pendant la nuit ». « Nous », c’est d’abord la communauté d’origine paraguayenne et de langue Guarani dont les cinéastes ont partagé l’existence pendant sept ans. « Ce qui reste », ce sont les moceaux de cinéma qu’ils ont fabriqués avec certains membres de la communauté, comme autant de fragments de mémoire contre l’oubli et la perte qu’inflige la suite des jours. Divina, Rogelia, Pedro, chacun.e livre un peu de son expérience et lui donne forme avec les cinéastes, au fil des ans. Même si c’est leur propre existence que ces exilés méditent devant la caméra – nostalgie, rêves de retour ou d’avenir –, on est ici aux antipodes de la chronique ethnographique. Contre l’impuissance du faux-jour documentaire, Christian Bagnat et Elvira Sanchez Poxon ont choisi les puissances nocturnes de la peinture religieuse et des mystères de la Passion. Si des tableaux du Greco, entre autres, ponctuent le montage, c’est que chaque fragment ou saynète est ouvragé comme le panneau peint ou sculpté d’un polyptique. Le « travail de la nuit », c’est la réappropriation de la vie que permet le cinéma quand, comme dans ce film lumineux, les puissances du montage et de la composition défont les évidences prosaïques du jour, pour accorder aux être et aux choses les résonances de la parole poétique.
Cyril Neyrat