Pepe est un hippopotame, devenu mythique après avoir été violemment abattu par des militaires colombiens en 2009. Ce film n’est rien de moins que son autobiographie : il retrace la vie de cet herbivore géant, depuis l’importation illégale de ses ancêtres par Pablo Escobar, à la fin des années 80, du Sud-Ouest africain allemand vers sa fameuse Hacienda Nápoles. Bien que chronologique – de la naissance à la mort de l’animal – Pepe préfère l’entrelacement à la linéarité, se ramifie à mesure qu’il avance, d’un cours d’eau et d’un continent à l’autre, explorant la fragmentation propre à l’exil et la désorientation vécue par l’animal né loin de sa terre ancestrale. Les trois langues du récit fait par son fantôme en témoignent. « Je n’avais jamais entendu ce son qui sort de ma bouche » dit-il au début en mbukushu, puis « il sort parfois d’une certaine manière et parfois d’une autre » en afrikaans. Si Nelson Carlos de los Santos Arias fait le pari de la prosopopée polyglotte, c’est qu’il semble trouver dans l’oralité et la pluralité des langues de quoi nourrir ses Études de l’imagination – tel est le sous-titre du film. Il poursuit ainsi l’entreprise virtuose amorcée dans Santa Teresa y otras historias (FID 2015), où il adaptait un chapitre de l’œuvre inachevée de Bolaño 2666 avec une liberté formelle inouïe. À propos de ce premier film, le réalisateur dominicain affirmait : « Les Caraïbes ont réinventé les langues européennes ; mon montage s’inspire de cette oralité hors norme, mutant sans cesse en différents modes de représentation à mesure qu’il traque sa liberté. » Pepe est porté par une liberté similaire : dans le divers et la relation se noue la possibilité d’inventer un nouveau langage – imprévisible, erratique, composite – et celle, pour le cinéma, de se réinventer.
Louise Martin Papasian