De l’opéra de Puccini, Tsaï Ming Liang ne conserve que très peu : le cadre exotique qui, pour lui, n’en est pas vraiment un, même si du Japon on passe à Singapour, et le destin d’une femme délaissée par son amant. Tout est dit : le récit devra se contenter de cela, et le film faire avec. Départ impossible ? Voilà notre dame Papillon dans une gare de bus à Kuala Lumpur, sans assez d’argent pour payer son ticket. C’est du coup l’occasion d’une déambulation, telle que Tsaï les affectionne, au milieu d’une foule serrée, parmi les échoppes de fruits, de marchandises pour le voyage. Les plans, on le sent, sont volés, et les figurants de cette déroute angoissée partagent leur animation véritable à l’image. Près d’un bus où elle tente de grimper, c’est le chauffeur cette fois qui refuse de l’embarquer.
Dans le cinéma de Tsaï, la fiction ordonne rarement l’ensemble des événements : il choisit un acteur, une actrice, ici Pearly Chua, une vieille complice, pour les plonger dans un décor laissé intact. A charge à chacun de se laisser porter, emporter l’un par l’autre. L’actrice se disperse dans la foule, mais elle est aussi le point de douleur qui la concentre. Et que cette souffrance aboutisse, presque comiquement, par un cheveu sur la langue, unique mémento déposé dans la bouche par l’amant envolé, dessine bien cette courbe qui part de la multitude pour finir en un trait unique et si mince.
Jean-Pierre Rehm