Ne change rien, nous confie succinctement le synopsis, est né d’une amitié entre l’actrice Jeanne Balibar, l’ingénieur du son Philippe Morel et Pedro Costa. Autrement dit, le film s’est fabriqué au fur et à mesure, sur mesure, mesure après mesure, puisque ici Jeanne Balibar est chanteuse, sans se préméditer totalité au départ. C’est pourquoi l’on y passe aussi facilement d’une scène à Tokyo au studio maison de Rodolphe Burger à Sainte-Marie-aux-Mines, de concerts rocks aux cours de chant lyrique pour La Périchole d’Offenbach. Certains de ces fragments avaient d’ailleurs été montrés lors de la rétrospective Costa au FID 2007. Filmer la musique, alors ? Le projet, même en patchwork, a cherché plus ample. Filmer Jeanne Balibar avant tout, une actrice à la torture (un morceau en fait son refrain) avec sa voix. Avec la rigueur et l’épure qui caractérisent son cinéma, Costa imprime autant le travail que la musique : le travail de la musique : musique avant la musique. Hormis quelques rares extraits de concert, ce sont répétitions, reprises encore, tâtons, satisfactions à demi, essais puis enregistrements. Tel est le choix : s’attarder avec une infinie patience sur l’âpreté du labeur, où éclate l’exigence sans concession de la pratique du chant, de la voix et du corps qui lui donnent naissance. Le vrai théâtre n’est plus la scène, c’est le corps soumis à l’épreuve de l’exactitude de l’art ; le vrai spectacle, c’est le cinéma qui le dérobe, il est en coulisse, toujours incertain, arc tendu entre le noir et le blanc, à se recommencer.
Jean-Pierre Rehm