Le prologue est sans équivoque : c’est le spectacle d’un immeuble soufflé par une explosion. Puis une foule dans un cimetière, la sépulture d’une certaine Henriqueta Souza, femme vénérée dont nous est livrée la biographie mouvementée, et qui, nous raconte-t-on, en souvenir d’amours défuntes a conservé en guise de relique la tête de l’aimé. Le projet du film est posé : quels rapports entre les lieux et la mémoire ? quels rapports entre les récits et les espaces ?
Suivront d’autres sites, d’autres bâtiments, toujours déserts : un quartier silencieux, un restaurant, un théâtre, une station balnéaire, une église, une villa désaffectée ou une usine délabrée. Invisibles les vivants d’aujourd’hui donc, les lieux sont installés dans un temps suspendu par le parti exclusif du plan fixe. Mais d’autres vivants, ceux d’hier, voix d’hommes et de femmes, d’un lieu à l’autre, récitent. Enumération des mets d’un riche menu du 17è siècle, perdrix et bouillon ; échange épistolaire où il est question de dette ; liste de protocoles médicaux désuets ou encore chants ouvriers. Subtiles variations des liens noués entre des récits et des espaces qui subvertissent les évidences illustratives et en piègent les principes ordinaires.
D’une région à l’autre, de Vila do Conde à Lisbonne ou Porto, Manuel Mozos plonge dans l’épaisseur du temps et de l’imaginaire collectif du Portugal. Ni monuments, ni stricts documents non plus, les textes, éléments sonores et espaces sociaux inhabités ainsi revisités par Ruínas, restent bien là mais fantomatiques, ils deviennent porteur d’une insistance narrative face à l’effacement et à la disparition.
Jean-Pierre Rehm