Une côte au loin, une arrivée en bateau, et un chant, complainte lointaine et lancinante. En quelques plans se dessine le projet du film : une traversée, ici d’une rive de la Méditerranée à l’autre. Celle d’Axelle, venue une première fois en 1962 comme jeune institutrice au lendemain de l’indépendance en Algérie. D’une rive à l’autre et d’un temps à l’autre aussi, dans un geste de fidélité à un ami connu alors, Ali, récemment disparu. Fidelité à l’ami et aux idéaux de l’Indépendance, aux êtres qui l’ont rêvée et conquise. Premier film de Dounia Bouvet-Wolteche, Les racines du brouillard, offrant les riches matières et textures du 16mm noir et blanc, nous mène d’Alger à Tizi-Ouzou chez Ali, avec en contre-champ ce que l’on comprend vite être les dernières images de l’ami, hospitalisé en France. Récit à trois voix, celles de la réalisatrice et d’Axelle, croisant celle d’Ali, évoquant par bribes ses combats politiques, ses emprisonnements, sa condamnation à mort par les autorités françaises. Temps mêlés, où les histoires se nouent, jouant des ruptures d’un son désynchronisé, travaillant les écarts comme les proximités, des moments et des temps, des voix.
Retour sur les terres, retour sur le passé, et traversée de la Kabylie aujourd’hui, et d’une guerre à l’autre avec en arrière plan la décolonisation, les espoirs et rendez-vous manqués. Mais hors de toute nostalgie, comme y invite le proverbe kabyle du titre, chercher les racines du brouillard, c’est-à-dire chercher l’impossible pour ne pas céder à la résignation, poursuivre et transmettre au delà du deuil, à l’image de ces voix d’enfants dont la lecture, avec Axelle, des souvenirs de lutte d’Ali ponctuent le film.
Nicolas Féodoroff