1958 date deux événements : la naissance du réalisateur, au Sénégal ; le début, au Liban, pays d’origine de ses parents, d’un grave conflit interne d’où résultera la longue suite des guerres civiles. Histoire privée, histoires nationales, entrecroisées donc, et qui mélangent autant les motifs de l’exil, de la colonisation, de la politique libanaise que celui de la diversité linguistique. Une figure néanmoins se détache peu à peu comme le centre de ce tourbillon : la mère de Ghassan Salhab. C’est autour d’elle, de son visage, de ses évocations, que se nouent des images d’actualité de l’époque au Liban et en Afrique, des images d’aujourd’hui autant que des méditations portées par la voix du réalisateur. C’est elle aussi qui permet que chaque information soit ici livrée incarnée, sensible, chargée d’une présence physique inhabituelle et entêtante.
Polyphonique, tressé (à l’image autant, insistons-y, qu’au son), ainsi le film s’affirme revendiquant toute la complexité d’une histoire toujours en cours dans laquelle l’autobiographie du réalisateur ne se distingue plus, c’est là sa fatalité, de celle de son contexte. Mais une polyphonie dont le cœur secret se concentre en une ode à la mère. Dut-elle, cette mère, se porter à son tour comme allégorie du pays d’origine, de la langue d’origine, voire de la mer qui conclut le film. Mais justement, au milieu de ces allers-retours entre passé et présent, d’un pays à l’autre, il n’y a paradoxalement aucun mouvement : l’épopée fait du sur place. Et si le réalisateur, qu’on voit toujours de dos, fait face pour finir à l’étendue maritime, tel une proue d’un navire en partance vers l’oubli, c’est pour mieux pivoter et revenir affronter Beyrouth dans un vis-à-vis qu’il n’a jamais abandonné.
Jean-Pierre Rehm