Qu’est-ce qu’une famille ? Question abyssale. Qu’est-ce qu’une famille d’américains de classe moyenne dans les années cinquante ? Abyme certes circonscris, mais pas moins redoublé. Admettons qu’une telle famille, profitant de l’aubaine des technologies de mémorisation à disposition, film super 8, appareil d’enregistrement audio, décide de mener l’enquête. Sur elle-même. Résultat ? Des heures de bande-son, d’un côté ; des heures de pellicules colorées, de l’autre. Résultat ? Des voix + des corps qui bougent + des arbres dans le vent. Leur vague balancement rythme les confessions, les secrets amoureux, les scènes de crise, les hurlements du fils révolté, les leçons des psychiatres, les sanglots d’une mère désespérée par le monde, son mari, sa progéniture, elle-même. Le bilan est connu d’avance, c’est l’affolement, en grand : c’est la folie. Mais le plus délirant, à coup sûr, est moins dans ce que sons et images révèlent sans cesse de toujours plus dévasté, que cet étrange engouement pour l’auto-archivage. Schizophrénie de la préservation, préservation de l’effondrement. Voilà donc sur bien des années, un document rare : une chronique familiale auscultée de l’intérieur de sa tristesse, qui parle et se tend le micro, qui se meut et tient la caméra en miroir. Cinéma familial, où est ton dehors ?
Jean-Pierre Rehm