En avril 2006, 13000 personnes de l’ethnie Dajo se réfugient dans la plaine de Gouroukon, à l’Est du Tchad. Tous sont survivants de la guerre du Darfour. Ils y construisent un camp, s’y enferment et s’y inventent une survie. Olivier Zuchuat s’est enfermé à son tour dans cette prison sans mur. En longs plans fixes, ses images recueillent les litanies, les récits, les complaintes, mais aussi les gestes et les postures de ces exilés. Car chacun semble ici oeuvrer à se soustraire à la douleur. L’un se tient assis immobile comme pour éviter de remuer les souvenirs ; un autre s’invente, dans une même raideur, en mémorial vivant ; un autre encore, vêtu d’un kimono blanc immaculé, enchaîne à la perfection un kata de judo devant un adversaire invisible ; un gamin dessine les fresques stylisées des affrontements meurtriers ; des fillettes fredonnent de concert des hymnes belliqueux. La guerre est encore là, partout, sur les corps, dans les têtes. Même si seule son ombre pèse sur ce village fantôme.
Jean-Pierre Rehm
Entretien avec Olivier Zuchuat à propos de Au loin des villages, paru dans le quotidien du FIDMarseille du 5 juillet 2008