Un sous-bois, presque comme dans un conte de fées, ouvre un récit : une voix, puis des voix, et une autre image, lointaine, arrachée à l’effacement, celle de Gilles Deleuze lors d’un de ses cours à l’université de Vincennes, véritables projets de pensée, de vie. Mais que reste-t-il aujourd’hui de leur actualité, de cette aventure délibérément interrompue, oblitérée ?
Premier film de l’Italienne Silvia Maglioni et de l’Ecossais Graeme Thomson, Facs of life annonce d’entrée son ambition : passer des faits (facts) aux facs (l’idée de l’université), autrement dit un film sur l’utopie de la transmission, sur la disponibilité d’un savoir à la fois vivant et vital. Maintenir le désir de continuer l’élan de création, d’aller vers ce devenir qui animait le philosophe. Les moyens de cette entreprise ? Brasser cette matière par les mouvements même des images convoquées, interrogées.
Mêlant, recadrant, triturant archives, lectures, entretiens avec d’anciens étudiants, regards actuels des étudiants de la désormais Paris VIII située à Saint-Denis, le film déploie une enquête attentive aux échos politiques et esthétiques de la pensée du philosophe. Montages et superpositions comme autant d’ouverture, de “lignes de fuites” et de palimpsestes qui battent le rappel de Jeff Wall à Virginia Woolf, de Francis Ponge au Corbusier ou Walter Benjamin. Revisiter les lieux aussi telle cette séquence lancinante d’arpentage à toute vitesse du bois de Vincennes, marqueur de cet effacement. S’approprier la pensée, au risque de l’expérience par le cinéma lui-même. Rythmé par les concepts deleuziens, loin de l’hommage plat, Facs of life fait plus qu’un bilan, mieux qu’une restitution, autre chose qu’un film sur : un coup d’envoi.
Nicolas Féodoroff