A l’écran, rien d’autre qu’un autre écran. D’abord intacte, une feuille blanche se macule petit à petit de traits plus ou moins rectilignes. Voilà ces traits qui poussent, se poussent, s’entrecroisent, finissent par s’ordonner en dessin, en tracé, les voilà dérouler une topographie, signaler des lieux, bâtir des maisons, indiquer des parcours, décrire par le menu des écheveaux de routes, d’obstacles. Les voilà coucher des biographies planes. Six feuilles viendront ainsi lentement s’animer, au rythme de récits portés par des voix d’enfants, de femmes, d’hommes qu’on ne verra jamais. Où sont ces voix ? Derrière les feuilles. Certes, mais où encore ? Nulle part : c’est cela justement que ces voix racontent. Ou plutôt, parce que même le nulle part s’entête sur un sol, elles disent qu’elles sont en Palestine, dans le camp de réfugiés d’Aïda, non loin du fameux village qui vit naître le Christ. Elles disent qu’elles sont sans réelle identité, sans protection, sans assurance de lendemain. Exils, deuils, lieu divisé, tout cela fabrique une animation au ralenti, seul témoignage visible d’une expérience dont ceux qui en souffrent restent, comme ils le sont de fait, occultés : des voix et des signes maigrement griffonnés.
On n’aura guère de peine à saisir que si Till Roeskens reprend à sa manière le protocole rendu célèbre par Stanley Brouwn (faire dessiner à des passants son chemin), c’est dans un contexte si différent que c’est notre propre insouciance qui s’en trouve secouée, et nous-mêmes qui devenons les fantômes de notre sécurité.
Nicolas Féodoroff