Une longue séquence suit Laly dans une dérive parisienne, sweat à capuche rabattue sur la tête. Il ne presse pas le pas dans le métro et oppose une lenteur triste, traduction de sa solitude, à la marche rapide des gens affairés. Anonyme dans la foule, il est ces milliers de migrants à la recherche d’une vie meilleure qui rejoignent l’Europe et fuient guerres, dictatures, désastres écologiques. Comme Laly, Abderahmane est demandeur d’asile, en attente de décisions quant à son sort. « Vous ne racontez pas les choses comme nous le voulons » l’avertit une employée de l’administration en Italie. Pour chacun, l’issue de la demande dépend en partie d’un récit de soi et d’un parcours conformes à des attentes et des preuves aussi objectives qu’arbitraires. Le film abandonne très rapidement la facture proprement documentaire et le risque d’être pris au piège des mots. Il préfère affecter notre perception. Géologie de la séparation est un chant élégiaque qui appose au destin des deux protagonistes l’immensité somptueuse des paysages qu’ils ont traversés et les incantations en arabe d’un temps où les continents n’en formaient qu’un seul. Les deux cinéastes taillent dans le réel des blocs de temps et de poésie, dans un sobre noir et blanc qui nous ramène à une forme de cécité. Le sublime des paysages est bien ici une sorte d’«horreur paisible » ; horreur que le montage installe inexorablement en confrontant le fonctionnement froid de l’administration aux visages vulnérables et aux regards graves de Laly et Abderahmane, et en pointant du doigt les responsabilités du Nord vis à vis du Sud, d’une Europe vis-à-vis des anciennes colonies. Europe qui, ne sachant que faire de la détresse, choisit trop souvent de détourner le regard.
Claire Lasolle